Prix Jacques Lacarrière 2018

Le prix littéraire Jacques Lacarrière décerné à Jean-Luc Raharimanana pour son roman Revenir
Ce lundi 10 décembre, le jury de cette première édition du prix littéraire Jacques Lacarrière, réuni à l’Institut du monde arabe et présidé par Gil Jouanard, a récompensé l’auteur malgache Jean-Luc Raharimanana pour son livre Revenir, paru aux éditions Rivages en mars 2018.
Hommage au métissage et à la paix, cri de détresse et d’espoir, ce roman aux frontières de l’autobiographie est une déclaration d’amour à Madagascar et à la littérature.

Le mot de Sylvia Lipa-Lacarrière :
« Je me réjouis que le jury se soit accordé sur un livre d’une si grande qualité littéraire et où l’on retrouve l’essentiel de l’univers de Jacques Lacarrière et de ses préoccupations. Jacques se disait non pas « engagé » mais « engagé dans sa vie et dans son époque ». Les pages magnifiques de « Revenir » sur la nature, la façon dont l’auteur, à travers un destin personnel, rencontre l’essentiel, écrit sur l’exil, le métissage, l’amour, la poésie sont en résonnance avec le monde de Jacques Lacarrière, et l’agrandit encore ».

Le site de Bibracte

Extraits de Revenir :

…. Les chants de mémoire pour les jours qui ressemblent à la nuit, les chants de mémoire pour les nuits qui s’as- semblent aux jours, les chants de mémoire pour les jours à forger du passé, pour les nuits qui passent à l’oubli du plus tard, au lendemain où hier n’a plus de sens qu’aujourd’hui, Hira n’est plus qu’un mouvement qui va vers le plus léger, une sensation de refus qui vient du vide, il caresse les visages et attise quelques nerfs qui font tressaillir, mémoire quand l’indifférence et l’imposture posent leurs masques. Hira est de la horde des voleurs de songes, Hira est de la horde des ripailleurs de voix, Hira est de la horde des orpailleurs d’histoire, Hira est, Hira n’est plus, Hira ne vit plus, Hira vit, Hira n’existe plus, Hira existe. Hira est la harde sur le dos de l’ombre, Hira est l’ombre sur le pli des obscurs, il est de la horde des voleurs de songes, il est de la horde des ripailleurs de voix, il n’est plus, il vous suit, il ne vit plus, il vous vise, il n’existe plus, il vous exige, Hira est de la horde des rocailleurs de chœur et des grands tam- bours de chair, Hira fait mémoire en s’enracinant dans le vide, il est, il ne suit pas, il vit, il ne vêt pas, il existe, il n’existe pas. Il est. Il rend nu. Et quand sera semé ce qui sera pour s’aimer, il prendra le pas du vent et s’en ira sans trace, il ne sait de quelle plante il a ravi l’écorce de sa mémoire, peau morte de son histoire, il ne sait de quelle racine il a étiré les vertèbres de son dos, mais quand sera semé ce qui sera pour s’aimer, il s’en ira, il s’en ira, il s’en ira, il s’en ira. L’œil fatigue d’avoir trop vu, trop su, trop lu, il s’en ira, lettres du vent et alphabet de l’oubli, sur la danse du temps et des infimes transes… 

« …. Que changer du monde sinon l’homme ?
Entre la main et l’œil, l’envie, le désir, le rêve du toucher, la marche vers la possession, le rêve de puissance : nous avons vu, nous aurons ?
Entre la caresse du regard et du toucher que changer du monde sinon l’envie, l’envie de posséder ?
Les mots tissés entre l’œil et la main…
Les frontières disent que là sont les propriétés des uns et des autres, que là sont ce que les mains peuvent toucher ou pas.
Métamorphose de l’envie, les langues naissent des chrysalides de la contemplation. C’est ce que Hira changerait : pouvoir tisser du fil du regard des lambeaux de paroles pour dire le monde, et surprendre l’ouvrage sur l’élan du toucher et de l’appropriation, revenir à cet état seulement : admirer.
Revenir…
Qui regarde tarde à démêler l’homme de la nature. Qui regarde oublie qu’il est devenu tout cela à la fois, de-ci, de-là, feuille cousue sur les accrocs du ciel, bout d’une eau ourlée au cœur de la poussière, tout cela à la fois, un peu de terre et de ciel…
C’ est ce que Hira changerait : l’ homme. Vaine tentative ou rêve nécessaire… »