Terre Humaine en photographies

Jacques Lacarrière, Femme Grecque Filant la laine, pour L’Été Grec, 1976

Après avoir lui-même écrit Les Derniers Rois de Thulé (1955), Jean Malaurie, directeur de collection, lit les travaux de Claude Lévi-Strauss. Cette écriture académique n’est pas « l’autre regard sur les sciences de l’homme [1]» qu’il recherche. Cependant, les photographies de Lévi-Strauss trahissent son amour des Indiens d’Amazonie. Pour Malaurie, c’est une révélation : il convainc Lévi-Strauss d’écrire Tristes Tropiques, loin des canons universitaires, pour remettre l’humain au centre du discours ethnologique. Dès l’origine, la photographie tient donc une place essentielle dans Terre humaine. La plupart des livres de la collection incluent un cahier photographique qui n’est pas simplement illustration ou documentation. Sa « dimension imaginaire et subjective [2]» permet de communiquer l’empathie et la force de conviction d’auteurs et de photographes divers, du témoin le plus humble à l’homme de science.

La plupart des ethnologues de Terre humaine ont usé de la photographie : Robert Jaulin, Georges Condominas, Pierre Clastres, Éric de Rosny et surtout Margaret Mead (Mœurs et Sexualité en Océanie, 1963), fondatrice de l’anthropologie visuelle, L’explorateur Wilfred Thesiger a partagé pendant un demi-siècle la vie des peuples nomades d’Afrique orientale, d’Arabie et d’Asie (Le Dé :1978, Les Arabes des marais, 1983, Visions d’un nomade, 1987). En ethnologue « captif amoureux [3]», il a réalisé de merveilleux portraits de ces populations au mode de vie menacé.

Livre majeur de Terre humaine, Louons maintenant les grands hommes (1972) accorde une place centrale à la photographie. Pour ce reportage sur la misère des métayers d’Alabama pendant la dépression des années 1930, James Agee considère que les photos de Walker Evans sont intimement liées à son regard d’écrivain. Tout aussi remarquables sont celles de Bruce Jackson, sociologue enquêtant en milieu carcéral (Leurs Prisons, 1975 et Le Quartier de la Mort, 1986). Enfin, de grands écrivains comme le poète Jacques Lacarrière (L’Été grec, 1976, Chemins d’écriture, 1991) savent aussi exprimer par l’image leur sensibilité aux lieux, aux hommes et aux cultures.

Grands noms et anonymes
Les auteurs de Terre humaine ne sont pas tous photographes. Archives privées, collections de musées ethnologiques et photographies d’agence accompagnent des livres de témoignage tels que Le Cheval d’orgueil (1975) de Pierre-Jakez Hélias, De mémoire indienne de Tahca Ushte (1972) ou La Maison Yamazaki de Laurence Caillet (1991). Un patrimoine familial ou régional apparaît dans les livres d’Antoine Sylvère, Gaston Lucas, Augustin Viseux, aux côtés de photographies d’Ara Güler, Hiroshi Hamaya, Carlos Freire, Jean Dieuzaide ou Henri Cartier-Bresson. Une place particulière doit être reconnue au travail empreint de spiritualité d’Hector Garcia dans Les Barrières de la solitudede Luis Gonzalez (1977) et à celui de Sebastiao Salgado, dont les visions saisissantes d’un Mali agonisant sont indissociables du livre de René Dumont Pour l’Afrique : j’accuse (1986).

L’exposition d’une sélection de clichés organisés en sujets fondamentaux (l’espace, les peuples, la filiation, le sacré, la mort lente…) révèle une trame commune, un souffle, un cri. De l’exotisme de Condominas à l’horreur du camp de concentration de Sachsenhausen, la palette de Terre humaine ne connaît pas de frontière. 

Évelyne Hénaff-Bargot et François Nawrocki
Chroniques de la BnF – n°60 – 13

Terre humaine en photographies 
4 octobre - 20 novembre 2011
Site François-Mitterrand 
Galerie des donateurs
Commissaires : Évelyne Hénaff-Bargot et François Nawrocki

[1] Pierre Aurégan, Des récits et des hommes. Terre humaine : un autre regard sur les sciences humaines, Paris, Nathan, 2001
[2] Emmanuel Garrigues, Quelques réflexions à partir des photographies de Claude Lévi-Strauss et d’un entretien avec lui, Revue d’Ethnographie n° 109, 1991.
[3] Jean Duvignaud, Le Pandémonium du Présent : idées sages, idées folles, Paris, Plon, 1998.

2005, Une Première dans le monde de l’édition

Jamais encore la BNF n’avait rendu hommage à une collection d’éditeur.

Chez Plon, Terre humaine s’enorgueillit donc de l’exposition de ses archives organisée dans le Petite Galerie du site Tolbiac, du 15 février au 30 avril. Au frontispice, ce credo : « Louons maintenant les grands hommes. » Tiré de l’Ecclésiaste, le verset sert déjà de titre à l’un des récits les plus poignants de Terre humaine. Sous ces mots, James Agee et Walker Evans avaient détaillé avec un infini respect, par le texte et l’image, le quotidien de trois familles de métayers dans l’Alabama des années 30. William Faulkner n’était pas loin.

Aujourd’hui, c’est toujours la même chose : la phrase invite moins à considérer les auteurs qu’à se passionner pour ceux dont il est question. Ces anonymes, SDF, détenus, parias, hors classe, hors caste, groupes fragiles et anciens, petits peuples foisonnant hors de l’histoire et loin de tout académisme. Car ils sont aussi incompris et méprisés que riches d’expériences et de savoirs autres. Voilà ce que Terre humaine clame depuis maintenant cinquante ans. Un demi-siècle entièrement voué à la défense et à l’illustration des minorités humaines.

Au point qu’il serait vain, à considérer la densité des manuscrits, correspondances, photographies et films présentés, de mentionner tous les univers, toutes les aventures vécues. Voici, à l’entrée, les traces des grands anciens. Les télégrammes de Jean Malaurie expédiés de Thulé, la dernière des terres pour Médée, ce nord-ouest du Groenland inuit où le projet de collection est né. A côté, une première édition de Tristes Tropiques de l’ami Claude Lévi-Strauss, celle des Immémoriaux de Victor Segalen, Afrique ambiguë de Georges Balandier, Aimables sauvages de Francis Huxley traduit par Claude Lévi-Strauss.

Ensuite, on découvrira l’intégralité de la bibliothèque que l’on pourra consulter, ou bien écouter puisque la voix des auteurs sera audible, ou bien encore voir grâce à la diffusion de reportages maison. Plus loin, la visite prendra une forme thématique avec une évocation des grandes orientations de Terre humaine. Peuples premiers, exclus, réprouvés, déportés et enfin sociétés traditionnelles avec un coup de chapeau à Per Jakez Hélias et à ses Bigoudens du Cheval d’orgueil (1,5 million de volumes vendus) … Et puis des engagements, des résistants dont les cris poussés résonnent |encore. Ainsi celui de l’agronome René Dumont dénonçant le vol des peuples africains par la Banque |mondiale. Celui d’Eduardo Galeano chroniqueur précis et implacable des pillages successifs de |l’Amérique latine. Celui de l’ordre des dominicains réfutant l’opposition du Vatican aux prêtres ouvriers et lui rappelant que Jésus est venu parler au nom des pauvres. Des cris, mais jamais de thèse. L’exposition se terminera par le commencement avec la genèse d’un livre, en l’occurrence un de ceux du voluptueux helléniste Jacques Lacarrière. Et l’on sortira par une évocation de l’Allée des baleines haut lieu chamanique découvert par Jean Malaurie en Sibérie. Avec, en conclusion, cette citation de Malraux au mur : « Il se peut que l’une des fonctions les plus hautes de l’art soit de donner conscience aux hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux. »

E. B.-R.

La cigale et la fourmi

Les Auteurs de Terre humaine
Autoportrait par Jacques Lacarrière

Lorsqu’au lycée nous étudions les fables de La Fontaine, et notamment la plus célèbre : la Cigale et la Fourmi, je me souviens qu’une rage folle me prenait devant la morale mesquine de cette fable. Toujours, j’ai eu en haine cette Fourmi, ménagère égoïste et cupide n’ayant d’autre souci que son confort et sa survie et toujours, j’ai détesté le modèle qu’elle représentait — qu’elle représente encore — dans les conseils prodigués aux enfants. Ce modèle a une morale des plus simples : il faut prévoir, travailler, épargner. Chanter, rêver, dire la beauté du monde sans nul souci du lendemain — autrement dit être poète — est une absurdité, voire une activité antisociale, Et, sur ce point, capitalisme et socialisme sont bien d’accord : dans la société qu’ils proposent, la Cigale est une véritable provocation, un défi anarchique, une dissidence musicale, alors que la Fourmi y est la travailleuse industrieuse, silencieuse et obéissante dont ces deux régimes ont besoin. Bref, j’ai toujours rêvé d’être Cigale, et peut-être est-ce pour cela que j’ai choisi la Grèce comme pays d’élection. Pour ces images de terres et de collines brûlées par le soleil, ces airs où l’air lui-même bruisse de chants et ces odeurs de résine et de pin. Depuis mon enfance, il y a en moi un rêveur obstiné, invétéré et irrécupérable qui préfère toujours croire à la beauté du monde, ajouter à son chant plutôt qu’à l’interdire. Mon chant, c’est l’écriture. Mes élytres, ma plume. Car l’important, c’est qu’un chant jaillisse, qui n’est pas nécessairement de plaisir ou d’exaltation, car il peut chanter aussi la misère ou la douleur des autres et, en cela, il l’atténue tout autant qu’il le peut. Et si j’insiste sur cette image des cigales et sur les souvenirs de mon adolescence, c’est parce qu’ils ont orienté ma vie et qu’ils ont même décidé d’elle. Les livres — ces partitions figées du chant natal — doivent être d’abord des poèmes, quel que soit leur sujet ; ils doivent être inscrits dans ma vie. L’exemple en est justement l’Été grec. Ce livre pourrait passer, en apparence, pour répondre d’abord à des exigences extérieures, à des contraintes de circonstance : celles d’une collection, de la tendance actuelle aux autobiographies, aux retours vers les sources enfouies de nos vies. Mais, en réalité, s’il a pu voir ainsi le jour, c’est au contraire parce que jamais, au cours des vingt années de ma vie grecque, je n’ai su que je l’écrirais. Je n’ai pas vécu en Grèce pour écrire l’Été grec. Si j’ai pu le faire, au terme de mes séjours, c’est parce qu’il s’est trouvé au bout d’une expérience, à l’estuaire d’une période cruciale de ma vie. Il en est plutôt le dépôt, le sédiment, impliquant par sa nature même la lente décantation des choses et des rencontres ; il en est la liberté arrêtée aujourd’hui sous la forme de mots. Et je pourrais en dire autant d’autres livres, comme Chemin faisant qui lui non plus, n’a pas occasionné ni dicté mon voyage à travers la France. Quand je suis parti, je n’avais nul projet d’écriture ; je n’avais, devant moi, d’autre objet, d’autre lieu à atteindre que l’horizon. Tout le contraire, donc, dans la relation entre le vécu et l’écrit, de la démarche universitaire où l’intention précède en général l’aboutissement, où l’on apprend avant tout pour dire ensuite qu’on a appris. Moi, si j’ai appris quoi que ce soit en Grèce, c’est comme la Cigale : sans autre but que cet apprentissage et que le chant qui en résulte.

Donc, l’Été grec est plutôt un chant qu’un recueil de savoirs. Il est, dans sa substance, l’apologie de la Cigale. Car la Fourmi n’accumule que pour elle seule, alors que la cigale chante pour tous. Un chant qui est un don, un partage immédiat. Le seul qui demeure d’ailleurs comme la culture, quand tout le reste est oublié.

Jacques Lacarrière.

Récits en terre grecque

Portait par Philippe Matsas Opale
Au printemps 2005, Jacques Lacarrière est l’un des coordinateurs de la conférence internationale que la BNF organise autour de l’exposition dédiée à Terre humaine.

Propos recueillis par Florence Groshens pour Chroniques
Terre Humaine, une aventure éditoriale et scientifique.

Chroniques : Quelles furent les circonstances de la publication de L’Été grec ?

Jacques Lacarrière : Jean Malaurie me contacta en 1969 pour me demander d’écrire sur la Grèce, pour la collection Terre Humaine. Je me souviens lui avoir répondu : « Je suis flatté de cette proposition, mais je ne suis pas du tout ethnologue. » Ce à quoi il répliqua : « Justement ! Je ne cherche pas le travail d’un spécialiste de la Grèce, mais votre vision à vous, celle d’un helléniste, avant tout écrivain, voyageur, poète et aussi militant engagé. » À l’époque, la Grèce était sous la dictature de colonels fascistes qui avaient pris le pouvoir en avril 1967. C’est la raison pour laquelle j’avais regagné la France. Il n’était plus question pour moi de retourner en Grèce : aux côtés des étudiants et des réfugiés grecs en exil, nous avions créé une revue d’information et de résistance à la dictature. J’ai bien sûr accepté la proposition de Jean Malaurie. Une chose me tracassait : la Grèce avait eu, avant moi, des centaines de voyageurs et d’écrivains qui l’avaient décrite en détail ! Il est vrai que J’étais le seul à l’avoir connue lors des années de « l’après-guerre » où elle sortait d’une guerre civile meurtrière. Je fus le premier étranger à débarquer à Corfou en 1950. Jusqu’en 1966, j’ai parcouru le pays en toute liberté, de la Crète au mont Athos, des îles des Cyclades à Olympie ou à Ithaque, séjournant dans certains lieux comme l’île d’Hydra ou celle d’Amorgos. J’écrivais des notes personnelles, des poèmes, des notes « savantes » ou descriptives, sans la moindre idée de publication. Ce qui me permit de rencontrer une Grèce authentique, c’est que…j’étais sans ressources précises.

Chroniques : Vous décrivez un va-et-vient constant entre le passé et le présent, la Grèce d’Homère, la Grèce byzantine et celle d’aujourd’hui. L’un des intérêts de L’Été grec est-il de montrer les liens entre ces différentes « Grèces » ?

Jacques Lacarrière : Il y a en France une sorte de « scannérisation » des travaux sur les civilisations d’autrefois. Pour ceux qu’on nomme hellénistes, la Grèce s’arrête en général au Ve siècle après J.-C., quand l’empereur Justinien ferme définitivement l’académie d’Athènes. Les byzantinologues prennent la relève avec la Grèce chrétienne jusqu’à son effondrement avec la prise de Constantinople par les Ottomans, en 1453. Ensuite, il y a quatre siècles de total effacement jusqu’à ce que la Grèce reprenne vie, en 1830. Vient alors le temps des néo-hellénistes. Je n’ai jamais voulu de ce compartimentage. Si la Grèce existe encore, c’est parce que sa langue n’a cessé d’être parlée depuis quarante siècles avec tous les changements que subit une langue vivante. J’ai traduit aussi bien des textes antiques — Sophocle, Hérodote, les Hymnes orphiques—ainsi que des chroniques byzantines, des chants populaires du temps de la Guerre d’indépendance et des poètes surréalistes modernes. « Il n’y a qu’une seule Grèce puisqu’il n’y a qu’un seul peuple et une seule langue », disait le poète Georges Séféris, que j’ai traduit en 1963, et qui eut alors le prix Nobel. L’Été grec est au fond le récit personnel, aussi précis et poétique que possible, de ce fil ininterrompu et de l’expérience humaine et personnelle que j’en ai eue.

Chroniques : Selon vous, le lien fondamental entre la Grèce antique, byzantine et contemporaine, est la langue grecque.

Jacques Lacarrière : Le poète Odyssea Elytis (Prix Nobel, 1979), que j’ai traduit, a cité au cours de son allocution des mots grecs courants : Ouranos, le ciel ; Thalassa, la mer ; Dromos, le chemin ; Sophia, la sagesse ; Anthropos, l’homme) qui sont les mêmes depuis Homère ! N’oublions pas que les Évangiles sont écrits en grec. La Grèce est le seul pays qui a connu la mutation du christianisme sans avoir à changer de langue. C’est même là l’origine du mot « orthodoxe » qui signifie « croyance droite », mais aussi « ligne droite ». Sans oublier que le grec continue d’alimenter le lexique de toutes les sciences de ce siècle, qu’il s’agisse des sciences humaines (anthropologie, ethnologie) ou des sciences physiques et naturelles comme la zoologie et l’astronomie. L’informatique paie aussi son tribut au grec avec le mot  « cybernétique » emprunté par le savant américain Norbert Wiener au traité d’Aristote Le Politique. La langue reste ce film interrompu qui relie Homère aux poètes grecs d’aujourd’hui.

Chroniques : Qu’en est-il de la Grèce de 2004 ?

Jacques Lacarrière : La Grèce de 2004, celle des Jeux olympiques, a effectué une nouvelle avancée vers l’Europe. J’ai eu l’occasion, au mois de février, de rencontrer les étudiants du nouveau campus universitaire de la banlieue d’Athènes : je n’ai vu chez eux aucune différence avec les étudiants de n’importe quelle université européenne.
J’ai connu un pays dur, exsangue : la Grèce d’après-guerre. J’ai connu ensuite un pays convalescent après la chute des colonels. La Grèce d’aujourd’hui, bien qu’elle se sente plus un pays balkanique que méditerranéen, sait qu’elle appartient pleinement à l’Europe. Notons que ce nom lui aussi est grec, celui d’une princesse phénicienne enlevée par Zeus jusqu’en Crète par la voie des mers !

Rencontre avec Michaël Ferrier

Lauréat du second prix littéraire Jacques Lacarrière pour son livre Scrabble, paru aux éditions Mercure de France (2019) dans la collection Traits et Portraits.

Samedi 13 novembre 2021 à 19h
A la bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe,
1 rue des Fossés-Saint-Bernard, Paris 5e 
(passe sanitaire obligatoire)

Présentation par Valérie Marin La Meslée
Lectures par Catherine Ferran, Sylvia Lipa Lacarrière, Elie Guillou…
La rencontre, d’une durée d’une heure, est suivie d’une séance de dédicaces et d’échanges avec Michaël Ferrier.

Le livre

Scrabble, une enfance tchadienne
C’est l’histoire d’une enfance au Tchad, à la fin des années 70, et de la fin de celle-ci, dans un pays extraordinairement beau, vibrant, palpitant. Mais voici que la guerre civile vient frapper à la porte de la maison du narrateur, un enfant, double de l’auteur
(la collection Traits et Portraits du Mercure de France, dirigée par Colette Fellous accueille des récits en forme d’autoportraits).
La première scène a pour décor la cour de la maison familiale, deux enfants y jouent au scrabble, tandis qu’au-dessus, des rapaces planent…

Michaël Ferrier portait ce livre en lui depuis longtemps, il y noue plusieurs fils fondateurs de son parcours : cette initiation africaine, « c’est ici que j’ai pris langue avec les bêtes et avec la terre, et ce négoce ne m’a jamais quitté » et, à travers elle, la découverte d’un rapport au monde qui passe par l’autre. « L’enfance s’ouvre comme une mangue », c’est le moment où l’on apprend à découvrir par les cinq sens. Cet état d’enfance se retrouve avec cette intensité dans une histoire d’amour et dans le geste artistique.

Le prix Jacques Lacarrière

Le prix littéraire Jacques Lacarrière distingue tous les deux ans un texte francophone de grande exigence littéraire, prolongeant l’esprit de l’écrivain. Il couronne l’auteur(e) d’un récit, roman, recueil de nouvelles, de poésie ou essai qui ouvre sur le monde sous le signe du partage. Un prix protéiforme, à l’image de l’œuvre laissée par Jacques Lacarrière.

Le jury

Le jury du prix est présidé par Valérie Marin La Meslée, auteure, journaliste littéraire au magazine Le Point.
Il est composé des membres suivants : Marie-Hélène Fraïssé, auteure et productrice à France Culture, Christian Garcin, écrivain, Sylvie Germain, écrivain, Élie Guillou, chanteur et poète, Sylvia Lipa Lacarrière, comédienne, déléguée artistique de l’association Chemins faisant, Anne Simon, auteure et chercheure en zoopoétique (directrice de recherche au CNRS), Jean-Luc Raharimanana, écrivain et Abdourahman Waberi, écrivain.

Voyage en Terre Humaine

Les 50 ans de la collection Terre Humaine

Du 15 février au 30 avril 2005 la Bibliothèque nationale de France fêtera, avec une exposition remarquable et un colloque international, les cinquante ans d’une collection mythique aux trois couleurs – rouge, orange et noir -, la collection Terre humaine, éditée chez Plon.

En 1955, Jean Malaurie, un chercheur aussi passionné et rêveur que rigoureux et exigeant, l’a fait naître. Ce même homme continue, depuis cinquante ans, à la faire exister, à la faire évoluer. Grâce à son formidable et très atypique travail d’éditeur et grâce aussi, bien sûr, à cette grande famille d’auteurs qu’il fait sienne et qui nourrit avec passion et talent une collection de 85 titres et 11 millions d’exemplaires vendus, dessinant une véritable « terre d’accueil » et une « Oasis d’humanité » dans la géographie littéraire de notre pays. La Bibliothèque d’Auxerre a donc voulu elle aussi fêter cet événement en invitant – avec ses partenaires le Ciné-Casino et la librairie « Obliques » – deux grandes figures du livre. Mais surtout en favorisant une double rencontre : celle entre Jean Malaurie et Jacques Lacarrière qu’on ne présente plus ici à Auxerre ; et celle entre le public et deux acteurs d’une extraordinaire aventure éditoriale, scientifique et humaine. L’un, Jean Malaurie, est un éminent chercheur, anthropo-géographe et compagnon des Inuits. Il a consacré cinquante ans de sa vie aux pierres des déserts arctiques et aux peuples premiers du Grand Nord. En 1955, il fonde Terre humaine avec son livre – qu’il qualifie lui-même de « véritable acte de résistance » – Les Derniers rois de Thulé. L’autre, Jacques Lacarrière, signe en 1976 avec L’été grec, une Grèce quotidienne de quatre mille ans, le 28eme titre de Terre humaine. Tout juste après le grand succès de librairie Le cheval d’orgueil de Pierre Jakez Hélias et juste avant Gaston Lucas serrurier d’Adélaïde Blasquez.

Alors, pour participer à une telle collection aux côtés d’auteurs comme Claude Lévi-Strauss, Robert Ballandier ou Jacques Soustelle, notre « jardinier des nuages », Jacques Lacarrière, celui qui lève la carte des rêves, cet arpenteur des territoires buissonniers, ce flâneur impénitent se serait-il métamorphosé en explorateur ou – peut-être bien pire à nos yeux – en anthropologue ou ethnologue ? A répondre oui, on aurait tout faux. Une fausse idée de la collection. Une fausse idée de ceux qui la font. Terre humaine est comme l’a voulue Jean Malaurie : « Ni intello, ni universitaire. Hors de toute idéologie, c’est une famille où écrivains, philosophes, paria, braqueur, ethnologues, mineur de fond, serrurier, voyageurs, détenus, métayers ou poètes s’interpellent en silence. Ce sont tous des compagnons de route, des caractères, avec une recherche intérieure. » En effet, dans Terre humaine, chaque ouvrage est un récit d’aventures. Chaque auteur – ou protagoniste – est l’aventurier de sa vie, qui dit « je », observe et met en récit une histoire. Une histoire singulière et universelle à la fois. Pourquoi ce titre Terre humaine ? Parce que c’est une collection unique où les auteurs appartiennent à la totalité des milieux. La seule collection où s’expriment côte à côte les plus grands comme les plus humbles, les plus célèbres comme les anonymes, les illettrés comme les savants, les ethnologues comme les chasseurs, le bigouden comme l’esquimau déraciné.Au cours de cette rencontre, c’est de cette aventure humaine partagée que nous parlera Jean Malaurie. Pour, en retour, partager avec le public auxerrois un peu « des tableaux infinis de la vie des hommes ».

Françoise Huart.

A l’occasion du cinquantenaire de la collection Terre humaine à la BNF, la bibliothèque municipale d’Auxerre accueille son fondateur et directeur Jean Malaurie pour une soirée exceptionnelle.

Auxerre Magazine 2005

Pour enfants … et pas seulement

Musique traditionnelle grecque 

Compagnie Gradisca
Loukia Chatzianastassiou (chant), Georges Nikolaïdis (flûtes traversière et à bec), Pantelis Terezakis (lyre crétoise, luth, guitare)

Enregistré à Thessalonique en juin 2005 – Produit à Paris par KDG 
Production sous l’égide de l’Unesco, de l’université de Paris IV Sorbonne, avec le concours du Patriarche œcuménique de Constantinople, Barthloméos le 1er, et le concours du Consulat général de Grèce à Paris

Texte de présentation de Jacques Lacarrière :

Parler de tradition en matière de chant et de musique, c’est parler avant tout de mémoire. Mémoire de temps souvent anciens, parfois même de temps premiers, mémoire aussi des lieux, des paysages, des coutumes qui, grâce au pouvoir particulier de la musique, deviennent porteurs d’une émotion souvent plus forte et plus durable que celle des textes écrits de leur temps, j’ai entendu à Rhodes il y a presque cinquante ans l’un des chants traditionnels de ce recueil, Thalassaki – La petite mer -, et en le réécoutant aujourd’hui j’ai ressenti avec la même intensité l’émotion et l’émerveillement éprouvés alors en découvrant que le chanteur – ou la chanteuse – tutoie la mer et lui parle comme à une amie et même à une sœur.
On s’est rarement demandé pour qui ces chants furent composés. Pour les berceuses, qui portent en grec le joli nom de nanourismata – de chants de nourrice – autrement dit, de chants nourriciers! – la réponse va de soi.Pour la plupart des autres, je répondrai : tout simplement pour nous, quelque soit leur lieu d’origine. Je pense plus particulièrement aux chants crétois qui par l’intensité, la virtuosité de leurs rythmes, ont un pouvoir et une portée qui va bien au-delà de la Crête et de ses luttes contre l’occupant ottoman. Il ne s’agit donc pas en succombant aux charmes et aux sirènes de cette anthologie de revenir ou de retomber en enfance mais bien au contraire de ressentir ou découvrir qu’on peut s’émerveiller à tous les moments de sa vie et qu’il n’y a pas d’âge pour tutoyer la mer !

Jacques Lacarrière

Les Milongas d’Antigone

Enregistré à la Comédie des champs-Elysées en juin 1994

Présentation de Jacques Lacarrière

Ici Antigone chante. Elle vient jusqu’à nous avec ses plaintes, ses cris et ses larmes chantées, allant bien au-delà du chant. Les choeurs des tragédies anciennes étaient interprétés à l’unisson ou à l’octave car la musique chorale antique ignorait la polyphonie. Ici, les choeurs d’Antigone sont aussi chantés mais, grande et belle inovation, les citoyens de Thèbes qui les composent, ces Thébains jetés au coeur de drames qui les dépassent, chantent sur des mélodies polyphoniques conçues par le Cuarteto Cedron, venu d’outre atlantique. C’est bien la première fois que deux continents et deux siècles aussi éloignés l’un de l’autre – la Grèce de Sophocle et l’Argentine de Juan Cedron – se retrouvent pour former le choeur d’Antigone. Alliance inattendue mais bénéfique car aux plaintes, aux colères, aux regrets d’Antigone, à ces cris, ces chants du monde ancien, elle insuffle les bouffées d’air du nouveau monde. On se rend compte alors que cette oeuvre Antigone, tout en étant de source purement grecque peut avoir des estuaires infinis et se mêler sans heurt et sans inconvenance aux apports d’une culture tout à fait moderne. Le chant de victoire qui ouvre la tragédie, l’hymne à l’homme qui la continue, l’hymne à l’amour qui le suit, les poignantes lamentations d’Antigone condamnée à mourir sans avoir rien connu de la vie ni de l’amour et le sombre inventaire des victimes de la folie et de la tyrannie des rois, cette ferme, lucide, impitoyable dénonciation de la violence et de la guerre se retrouvent ici, fortement, intensément portés par les voix solidaires du Cuarteto Cedron.

Chants d’Antigone, donc en ce disque et non chansons. Ne confondons pas ce qui vient du coeur et ce qui vient des lèvres. Ce qu’on entend clairement ici, c’est la voix d’une femme, ou plutôt d’une adolescente qui, la première eut le courage de dire non au au sacrilège et à la tyrannie et celles d’interprètes contemporains venus d’un pays où, il n’y a pas si longtemps, d’autres soeurs qu’on nommait «les folles de Mai» – réclamaient elles aussi le corps de leur frère disparu. Etrange et féconde coïncidence de l’Histoire ? En tout cas, de cette rencontre chargée de sens, sont nées ces noces somptueuses et musicales entre deux continents et entre deux époques.

Jacques Lacarrière

Bibracte : Echos du prix littéraire Jacques Lacarrière

 Le  Prix littéraire Jacques Lacarrière 

Le prix consiste en une résidence littéraire à Bibracte, agrémentée, pour l’édition 2020, d’une aide à la création de 3000 € (partagée à part égale entre Bibracte et la Bibliothèque de Saône et Loire) et de dotations en nature sous la forme d’une prise en charge des frais de séjours à Bibracte pour la durée de la résidence. Celle-ci (la première, qui s’est déroulée au cours de l’année 2021) a pour vocation d’offrir au lauréat un cadre de travail favorable à la création, dans un lieu patrimonial unique dédié à la recherche archéologique. 

En 2018, le Prix a été décerné à Jean-Luc Raharimanana, premier lauréat pour Revenir (Rivages).

Raharimanana et Bibracte

A la suite de la première résidence réalisée en 2019 par Jean-Luc Raharimanana au titre de la dotation qu’il a obtenue en tant que lauréat de la première édition du Prix littéraire Jacques Lacarrière, (organisé conjointement par Bibracte, l’association Chemins Faisant et la Bibliothèque départementale de Saône-et-Loire) deux résidences artistiques d’environ une semaine ont été accueillies à Bibracte en 2020, en lien direct avec la saison culturelle du musée. Jean -Luc Raharimanana a en effet tissé, confie-t-il,  des liens singuliers avec les arbres, les pierres, et le ciel du Mont-Beuvray.  Cette attraction  puissante de l’artiste  pour l’esprit des lieux  à généré plusieurs séjours durant l’année.  Une proposition  d’exposition  photos et textes a germé en février 2020,  bientôt enrichie d’un  recueil de poèmes.  Sur place, le projet d’une installation en 10 stations comportant 10 poèmes et des photographies de l’auteur s’est se dessiné, aboutissant  en fin d’année à « La Voix, le loin ». 

Installation : « La voix, le Loin »

Madagascar rencontre le Morvan,  l’installation débute ou se termine dans une tromba, cabane de transe de tradition malgache devenue lieu d’immersion dans un univers de sons et d’images. En Mars 2021,  une résidence de 10 jours avec Jean-Christophe Feldhandler,Vivien Trelcat, Yann Marquis,Vincent  Guibal et Max Lance autour du poète avait permis la création de la vidéo musicale installée dans la tromba 

Les mots de Jean-Luc :

« C’est une interrogation artistique, du fait de mes origines malgaches où la représentation n’est pas simplement une affaire d’artiste mais une implication directe du public aussi. Réinterroger l’espace du jeu, la circulation du regard et l’énergie de l’interprétation, réinventer le rapport au public. Un poète qui met en œuvre une installation texte/photo/vidéo/musique, qu’est-ce donc ? Quand les textes sont exposés sur d’inhabituels supports : des tôles rouillées, des trous d’arbres centenaires, des bâches sur le sol, des pupitres troués qui mangent les lettres…… Quand les photos empruntent à la peinture et au graphisme, quand les ombres profilent les narrations… Quand la vidéo ne représente pas mais suggère, quand la musique embarque dans des sons inattendus ou dans des mélanges de culture surprenants… Quel public crée-t-on ? Ou que crée le public à cet instant ? Qu’amène-t-il avec lui ? Que ramène-t-il ? C’est une étape mais aussi un instant rare et indépendant. (…) »

La Voix, le Loin

Quand la poésie se regarde
Le coeur de cette installation dans la forêt du mont Beuvray est la poésie. 
Le poète est un inventeur, un explorateur de formes, son art combine les sonorités, les rythmes, les mots, les images…
Raharimanana, l’auteur de ces poèmes,  a  choisi de les exposer, de les faire sortir du livre. L’ensemble de textes, se déploie en 10 stations de 10 poèmes composés en 10 temps (plan donné au musée).  
Le processus d’écriture est ainsi fait : un jour – un poème. 
100 journées – 100 poèmes…
Au levé, une musique en tête, des images – de là jaillissent les mots teintés de l’humeur du jour, traversés par l’actualité du monde et les émotions qu’elle suscite. L’ambiance du jour est parfois gaie, mélancolique, elle peut être violente. 
Il ne s’agit pas ici d’une proposition de lecture intégrale, le livre sera prochainement publié aux éditions Vents d’ailleurs. Le visiteur peut s’arrêter le temps d’un poème ou attraper des mots au passage. En cheminant, l’ombreux et l’étincelant se tissent, la frontière entre le songe et la réalité  est  indécise.
Eloïse Vial

Passation, d’un lauréat à l’autre

Au terme de sa résidence à Bibracte, Raharimanana, prix 2018, a croisé le lauréat du prix 2020, Michaël Ferrier

 Michaël Ferrier, lauréat de la seconde édition du prix littéraire Jacques Lacarrière en 2020, pour son roman Scrabble, (publié au Mercure de France) a été accueilli à Bibracte, le 11 août 2021, par Vincent Guichard, directeur général de Bibracte, Eloïse Vial, secrétaire du Prix, (photo) Jean-Luc Raharimanana et Sylvia Lipa-Lacarrière,comédienne et déléguée artistique de l’association Chemins faisant, partenaire de Bibracte pour l’organisation du prix. 

Balade littéraire sur le mont Beuvray

Happy Dreams Hotel

Théâtre Municipal Berthelot à Montreuil

Le regard à hauteur d’enfant puis d’adolescent, Aram Tastekin se livre avec délicatesse. Découvrant le coca ou fuguant à Antalya pour voir des femmes russes en vrai, il nous fait vivre de l’intérieur le quotidien d’un jeune homme kurde en Turquie. Ecrit et mis en scène par Élie Guillou, ami et connaisseur de la cause kurde, ce spectacle nous révèle pas à pas toute la complexité politique de son pays
et l’immense gourmandise de vivre de ses habitants.

Écriture et mise en scène : Élie Guillou
Avec : Aram Taştekin et Neşet Kutas – Assistante à la mise en scène : Noémie Régnaut Collaboration artistique : Cecilia Galli – Regard extérieur : Rachid Akbal
Production : Guillou Frères. Co-productions : Maison du conte (Chevilly Larue), Théâtre Antoine Vitez (Ivry), Compagnie le Temps de vivre – Festival Rumeurs Urbaines, Festival des arts du récit en Isère.
Soutiens : Département du Val de Marne (94), SACD, l’atelier des artistes en exil, Théâtre Berthelot – Jean Guerrin (Montreuil), Le Strapontin (Pont-Scorff).

Jeudi 7 octobre 2021 à 20 h 30
vendredi 8 octobre 2021 à 15 h et 20 h 30
et samedi 9 octobre 2021 à 20 h 30