Interview FR3
A l’occasion de l’exposition à la galerie du Château d’Eau à Toulouse
Paul Valet
Faraj Bayrakdar
Pour Faraj Bayrakdar
Les gendarmes les plus fiers
n’ont jamais ramené le soleil captif
Henri Michaux
(Qui je fus)
Nul jamais ne ramènera le soleil captif.
Nul jamais n’emprisonnera la lune vagabonde
Et il ne sert à rien d’invectiver le ciel
Face à la sidérante liberté des étoiles.
On emprisonne pas les mots dans les édits
Pas plus qu’on ne capture les verbes en cavale.
Etoiles et mots, mutité, cécité des murs
Mais, au-delà des murs, l’évasion du silence.
Comme rose à l’extrémité de l’orage
Fleurit toute parole emmurée
Sachez-le bien, vous qui croyez régner,
Un jour, les roses elles-mêmes vous jugeront.
Vous n’en serez pas quitte avec des couronnes,
Le buis et le laurier, l’immortelle et l’acanthe.
Vous devrez rendre compte des cris des crucifères.
Du couteau des épines et du sang de l’automne.
Même du sang de l’automne.
Et rien ne sera oublié, ni remis
Ni rien ne sera pardonné
Rien. De chaque privation,
De chaque réclusion. De chaque hibernation.
Mais sachez-le : un jour, les murs s’effondreront
La rose refleurira au terme de l’orage.
Et le poème retrouvera son souffle d’ange
A l’instant même où vous deviendrez cendres.
Jacques Lacarrière, A l’orée du pays fertile, Seghers éditions
Aimé Césaire
Adonis, le charmeur de poussière
Omer Kalesi
ÔMER KALEÇI
Orner Kalesi, né à Serbica (Kiçevo),
République de Macédoine, en 1932.
Il émigre en Turquie avec sa famille en 1956, à l’âge de 24 ans et commence ses études d’art figuratif à l’Académie des Beaux-Ans d’Istanbul en 1959. Encore étudiant, il voyage pendant cinq mois, en 1962, à la rencontre de la Turquie profonde. Ses impressions de voyage se retrouvent
plus tard, dans ses tableaux et en particulier dans ceux de derviches et de bergers. Son périple le conduit sur les pas des philosophes et humanistes du XIIIe siècle Meviâna, Hadji Bektasi Veli et Yunus Emre.
En 1965, il termine ses études à l’Académie des Beaux-Arts d’Istanbul et, la même année, il s’installe à Paris où il vit depuis plus de quarante ans.
La peinture d’Ômer Kalesi est intimement liée à la Turquie, un pays où s’inscrit l’ensemble de son activité artistique, notamment à la galerie Tem d’Istanbul. Après les Beaux-Arts, toutes ses peintures sont réalisées à Paris, dans son atelier du boulevard Arago.
Marqué, adolescent, par la Seconde Guerre mondiale. Omer Kalesi trouve son inspiration dans les événements de la péninsule balkanique. Une partie de son travail est réunie dans le livre « Le drame Balkanique » préfacé par Jacques Lacarrière.
Totalement fasciné par l’œuvre de Goya, son maître depuis les Beaux-Arts, il est allé plusieurs fois au musée du Prado à Madrid ainsi qu’à l’église San Antonio de la Plorida, où se trouve le tombeau du peintre, pour y admirer ses fresques. Il est particulièrement inspiré par les peintures noires de Goya réalisées dans les dernières années de sa vie.
« Ainsi sont à mes yeux ces peintures, ces portraits, hors du temps qui ne regardent plus qu’eux-mêmes. Qu’on les nomme derviches ou bergers, ils disent un horizon sans fin, fait de poussière ou de prière, balayé par un vent Paraclet qui les subjugue et qui les fige. Oui, ils viennent d’un pays terrestre, ils portent le manteau des humbles et la coiffe des anatoliens mais en fait ils sont déjà parvenus ailleurs. Peut-être en ce lieu entrevu par les Gnostiques et les Soufis, où nous attend notre véritable image venue à notre rencontre. Bien qu’immobiles, figés ou pétrifiés en leurs gestes de cosmonautes saisis par l’apesanteur, ils nous forcent à suivre leur voyage, à devenir témoins de leurs noces avec l’invisible. Ils sont une danse heureuse, une fête, une liturgie de gestes et d’attente. Et je sais maintenant ce qu’en eux je perçois vraiment : ils sont des chrysalides où un nouvel homme est en train d’éclore. »
Jacques Lacarrière à Orner Kalesi, Paris, 1992
Félix Rozen
« Je fixais des vertiges ». Cette phrase de Rimbaud pourrait très bien convenir aux nouvelles toiles de Félix Rozen, où les traits, les signes, les couleurs et les couches vivent des noces tour à tour primitives et savantes C’est le mouvement même des genèses et des créations qui affleure en ces toiles par la patiente superposition des touches exprimant ici, des naissances d’étoiles là, un séisme printanier ailleurs, des élans et des rythmes saisis dans le vif de leur source. Chaque toile devient ainsi un parchemin où s’inscrivent les signes d’une écriture perpétuelle.
Avec les gravures, ce sont plutôt les traces, les sceaux de messages sibyllins qui sont ici proposés par le peintre. On y découvre l’aurore de signes à déchiffrer en même temps que les empreintes d’un pays oublié, celui où l’écriture a pris naissance. Il y a en Félix Rozen un rêveur scientifique et un scribe lyrique qui savent concilier ce qu’on croyait inconciliable : le passé le plus vieux et le futur à naître, en un mot la mémoire de la modernité.
Jacques Lacarrière
Pour Félix Rozen
Tendre est le jour qui lui donna naissance
Et tendre est la nuit qu’il éclaire
Jacques Lacarrière
I.
Les êtres et les visages
Visages regardant,
Yeux retenant le temps dans le flou des pupilles
En vos mandorles de pénambre,
Habitants des pays oubliés,
Des pays d’avant naître
Où courez-vous, que cherchez-vous ?
Autour de vous
Les couleurs migratrices ont revêtu
Les plumes des saisons
Un grand émoi s’empare de nos gestes
Comme forêt avant l’orage.
Clowns ? Messagers ? Funambules
Sur le fil des miroirs ? Lutteurs
D’arc-en-ciel et briseurs de nuage ?
Enfants de foudre, enfants d’humus,
Vîsages regardant ?
II.
Autres formes
Corolles du temps
Eclatées, rétractées
Comme une orbe impulsive.
Doigts des étamine
Dans la paume éteinte des volcans.
Un ange, braise et cendre
Veillant le feu mourant
Dans l’or des digitales.
Et quelque part,
Un coquillage proposant à la nuit
L’énigme de sa nacre.
Et quelque part
Dans le pré retrouvé
Un enfant, écoutant
Le silence soudain des insectes.
L’alphabet du feu
Le mot qui définirait le mieux la technique employée par Félix ROZEN en ces oeuvres récentes serait le mot gaufrage dont le dictionnaire nous dit sans surprise qu’il consiste à gaufrer des tissus, du cuir, du carton, du papier, autrement dit à y imprimer des motifs en relief ou en creux. Il s’agit bien ici d’impressions au sens concret du mot, c’est-à-dire de pressions créant des empreintes sur une surface appropriée. Une sorte de tatouage, laissant sur la peau du support une image ou un message indélébile. Dans les cultures traditionnelles, le tatouage est une marque d’appartenance à un clan ou à une confrérie, mais aussi un dessin qui fait corps avec le support.
Faire corps : voilà une image qui permet d’approcher ces formes, ces figures, ces festins de pâte, ces noces de la cire et du feu. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de la rencontre sur une plage d’épais papier d’une cire et d’un fer chauffé. Images, motifs, empreintes, traces, épures, s’y rencontrent comme autant de matrices permettant par la suite tous les accouchements possibles des formes et des couleurs. Pour ma part, je vois surtout en ces empreintes, en ces pyrocera comme les nomme leur créateur, les lignes, signes et caractères, disons même les hyéroglyphes d’un monde inédit et parallèle au nôtre. C’est le hasard qui, au début, semble assembler ou disperser ces signes mais un hasard vite ordonné, maîtrisé par l’artiste qui affine et oriente aussitôt ces lettres et ces messages surgis spontanément, cet alphabet d’un autre monde né pour transfigurer le nôtre.
Les anges, on le sait, sont, comme d’ailleurs les démons, des créatures de feu. Serions-nous ici en présence d’une écriture des anges? Je ne m’aventurerai pas jusque là mais j’ai le sentiment, en regardant ses oeuvres, de déchiffrer un langage ardent et imagé, ce brasier d’élans et de laves qu’implique tout acte véritablement créateur.
Jacques Lacarrière
Notes biographiques
1938 – Né à Moscou, naturalisé Français en 1974.
Diplômé de l’École Nationale d’Electronique de Varsovie (1959)
Maîtrise discernée par l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie (1965)
1966 – S’installe à Paris
1967 – Première exposition personnelle, Galerie Tivey Faucon, Paris.
1967-74 – Décors de Théâtre et affiches pour France Culture ; organise le Festlval de Collias (arts, cinéma, musique) dans le Gard.
1971 -80 – Enseignement universitaire (Besançon, Université de Vincennes, Sorbonne, Paris l)
A partir de 1980 – fréquents séjours à New-York et en Scandinavie.
1984 – Boursier de l’état Français : Center for Music Experiment, San Diego et au Japon (1984-1985)
Depuis cette date, réalisation d’une série de peintures intitulée « Tokyo Series ».
1988 – Voyage en Argentine
1990 – lnvention de la gravure pyrocera
Charlotte J. Charlot
Aristide Caillaud
Aristide Caillaud, natif des Deux-Sèvres, passa son enfance, son adolescence et les trente dernières années de sa vie en Poitou. De là son attachement à ce pays de bocage, d’eau, de forêt mais aussi de légende, de mythes, de religion et d’art et leur présence, leur prégnance dans son oeuvre.
Ami de Dubuffet et de Chaissac, son voisin vendéen, Caillaud participa en 1949 à la première manifestation de 1’art brut. Cependant, son oeuvre ne peut ni être identifiée à ce mouvement essentiel, ni être limitée au qualificatif de naïve.
Elle est celle d’un poète de l’image, inventeur de formes et de structures très élaborées, oeuvre unique, original et originel plain-chant où les quatre règnes de la vie se confrontent et se conjuguent. Grâce aux textes de Jacques Lacarrière, cet ouvrage richement illustré permettra au lecteur de découvrir l’univers fascinant de ce peintre inclassable.
Aristide de Sirène
« Sous les paumes, le mirage. Sous la main, le miracle.
Une Pâques de couleurs, pâquis de colories.
Au bout des doigts, le monde. Sur la toile, l’Etoile.
Un béethléem de lumière. Etable ou se rend le Mage, enchanteur cheminant, quand le désir le prend de rendre hommage
au nouveau lieu des langes.
Ici, même les momies sourient dans l’Immobile,
l’arbre ne craint plus ses rumeurs
l’oiseau revendique le chat
et le volcan, ailleurs étau de feu,
est un émoi de plus parmi l’azur. »
Jacques Lacarrière