« Pour suivre un chemin de connaissance, il faut sortir de sa terre natale. »
C’est sur ce chemin, à la rencontre de Jacques Lacarrière, que nous conduit Luis Mizón, poète chilien vivant à Paris. La première partie du livre invite à découvrir ce marcheur infatigable, amoureux de la Grèce et de la Bourgogne, amateur de vin et de petits bonheurs.
L’anthologie qui suit est une « errance selon une carte dessinée par l’écho ». Luis Mizón propose au lecteur différents chemins pour aller à la rencontre de l’ami, de l’écrivain : celui des lieux, qui va de la Sologne à Sacy en passant par Athos et Alexandrie ; le chemin parallèle de la poésie, qui passe par le silence et la parole ; le chemin de l’écho qui se faufile entre l’Histoire, les mythes et les légendes et enfin le chemin de la poésie du regard, qui embrasse, outre l’initiation à la vie quotidienne, l’immense et le minuscule, et se termine, naturellement, par l’errance. Né en 1942 à Valparaiso, Luis Mizón vit depuis longtemps en France. Son œuvre, découverte par Roger Caillois, est essentiellement poétique. Il a aussi publié des romans, des récits et une anthologie de textes consacré à l’indianité. Né en 1925, Jacques Lacarrière a grandi dans un jardin du Val de Loire et dans les branches d’un tilleul qui fut son premier maître. Dès les années 50, il quitte la France pour le Proche-Orient et pour la Grèce où il réside une quinzaine d’années, entre les îles d’Hydra et de Patmos. De retour en France en 1967, à la suite du coup d’État fasciste des colonels, il s’installera à Sacy, en Bourgogne, dans la maison de ses grands-parents paternels où il demeure toujours, entouré de pages et de cépages.
PAPHOS Imaginez un Ciel d’apparence humaine, je veux dire un ciel nanti d’un corps humain mais de dimension surhumaine, mâle de surcroît, ce qui implique, entre autres, un phallus et des testicules de taille surhumaine. Ajoutez à cela une humeur de nature ombrageuse et même fulminante et une ardeur érotique effrénée à l’égard de la Terre, son épouse ou compagne, qu’il vient couvrir – et même recouvrir – chaque soir (d’où les naissances successives de six Titans, six Titanides, trois Cyclopes et trois Hécatonchires, ces derniers étant des géants ayant chacun cinquante têtes et cent bras ) et vous aurez une idée du premier dieu céleste des anciens Grecs, j’ai nommé Ouranos.
De toute évidence, effusion, tendresse et caresses étaient choses totalement inconnues d’Ouranos. Si bien que la Terre finit par se lasser de ses assauts nocturnes et de ces accouchements répétés . Aussi demanda t’elle à Cronos, dernier- né de tous ses enfants, de la délivrer des assiduités de son brutal époux. Ce qu’il fit de la façon la plus expéditive en prenant une serpe acérée et, guettant l’heure où son père s’approchait “ tout avide d’amour “ (Hésiode) de sa gisante épouse, trancha d’un coup ferme les divins et célestes attributs qu’il s’empressa de jeter derrière lui. Geste fort peu auguste, certes, mais non sans lendemains car les sanglants débris tombèrent dans la mer toute proche et du sang et sperme répandus jaillit, écume vivante, écume vibrante, la déesse de l’amour en personne, Aphrodite. Ainsi, la grâce, la beauté, le désir, le plaisir, l’amour, la passion apparurent en ce monde à la suite d’ une céleste émasculation, laquelle aurait eu lieu à Chypre près de l’actuelle ville de Paphos, sur la côte sud de l’île, près d’un rocher appelé aujourd’hui Pétra tou Romiou.
La mer Egée recèle mille autres rivages, criques, calanques et anses où accueillir de célestes et divins débris. Mais il fallait bien qu’ils tombent quelque part ! Pourquoi pas à Chypre où Aphrodite possédait son plus vaste et plus ancien sanctuaire ? Ancrer un mythe en un lieu précis – et ce terme me parait convenir ici – lui assure une histoire plus concrète et donc plus convaincante. Mais un tel ancrage implique que le mythe soit à même de laisser des traces sensibles et identifiables, ce qui n’est pas le cas de tous, comme par exemple,les amours incestueux d’Oedipe et de Jocaste, consommés dans la nuit complice d’une chambre nuptiale en leur palais de Thèbes ou le meurtre d’Iphigénie immolée par son père sur un rivage d’Aulide.
Dans les années I965-I97O, un certain nombre de savants et de chercheurs de l’Université de Princeton aux Etats-Unis se posèrent le plus sérieusement du monde la question de savoir si nous pouvions respirer encore de nos jours des molécules de l’air expiré par César au moment de son assassinat. Et la réponse fut : mais oui, probablement quelques dizaines à chaque respiration! Soit. Mais on peut comprendre que cela serait plus difficile avec les molécules d’air expiré par Laïos quand son fils Oedipe l’égorgea ou celui qu’expira le roi Agamemnon quand sa femme Clytemnestre l’assassina dans sa baignoire à son retour de Troie !
En réalité, ce qui compte avant tout dans les mythes, ce sont les traces qu’ils laissent dans nos consciences et plus encore en notre inconscient, en nos peurs et nos rêves et aussi dans les livres, les peintures, les musiques et les contes qui s’en sont inspirés. A quiconque veut se rendre à Chypre, je ne peux bien sûr que conseiller ce pèlerinage sur les fonts baptismaux d’Aphrodite .Mais le message qu’elle nous a légué – et qu’elle nous lègue encore – n’a plus rien à voir avec Chypre car il est devenu depuis longtemps universel, à savoir que désir et amour, autrement dit qu’Eros reste le véritable ordonnateur du monde !
Extrait du Dictionnaire amoureux de le mythologie Parution en 2006 chez Plon Illustrateur : Alain Bouldouyre ISBN : 978-2-259-20229-9
« Je connaissais depuis longtemps I’œuvre de Jacques Lacarrière. Je n’ai pourtant rencontré Jacques et Sylvia qu’à l’été 2005 à Tinos en Grèce. Nous devions nous revoir à l’automne, à Sacy, où il était entendu que Jacques me donnerait le texte sur l’Aurige que je devais illustrer. Entretemps, Jacques est parti. Sylvia a respecté sa promesse. Quelques semaines plus tard, elle m’a envoyé le texte sur lequel je travaille depuis plus d’un an pour réaliser les gravures qui l’accompagneront. Pour l’Aurige coulé dans le bronze, Jacques, avec ses mots, a entrepris un voyage au fil de l’Histoire. Avec le burin de graveur, je me suis efforcé de suivre ses traces. » Christos Santamouris.
Le livre est tiré sur papier Hahnemühle 350 gr, au format L 21,6 x H 28,8 x E 3 cm, texte bilingue français et grec. Il comprend 50 pages, illustrées de 16 gravures en couleurs et est présenté sous étui fabriqué par les établissements Dermont‑Duval et a été imprimé à cent vingt exemplaires numérotés de 1-120 à 120-120.
L’ouvrage est comercialisé au prix de 800 Euros TTC.
Contacter : Christos Santamouris 49, avenue de la Résistance 92370 CHAVILLE FRANCE
Jacques Lacarrière, l’écrivain qui nous a donné tant d’ouvrages sur la Grèce, a découvert il y a quelques années les photographies d’Emanuel Sanz. Son enthousiasme l’a porté à écrire le texte d’un livre qui, à travers ces photos, montre la vraie Grèce, celle des Grecques et des Grecs, la «Grèce des hommes»:
ON NE TROUVERA NULLE COLONNE ANTIQUE DANS CE LIVRE, NULLE TRACE À TRAVERS DES PIERRES DE L’HISTOIRE ET DU PASSÉ GRECS. LA MÉMOIRE, ET SURTOUT LA PÉRENNITÉ D’UN PAYS, SE DÉCOUVRENT DAVANTAGE DANS SA LANGUE ET DANS SA CULTURE, ET AUSSI SUR LES VISAGES DE SES HABITANTS, DANS LEURS GESTES ET LEURS ATTITUDES DE CHAQUE JOUR, QUE DANS LES ŒUVRES DE TEL SIÈCLE OU DE TELLE ÉPOQUE. C’EST CETTÉ GRÈCE QU’A SU SAISIR DANS SES PHOTOS EMANUEL SANZ, UNE GRÈCE QUI DE PRIME ABORD DÉCONCERTE, QUI SEMBLE OUBLIEUSE DE SON PASSÉ, AMNÉSIQUE DE SA PROPRE MÉMOIRE, ÉGARÉE DANS NOTRE AUJOURD’HUI COMME UNE VOYAGEUSE QUI AURAIT PERDU SON IDENTITÉ, MAIS EN FAIT CELA EST FAUX : LA GRÈCE NA RIEN OUBLIÉ, ET LE PRÉSENT GREC DOIT SEULEMENT
S’ACCOMMODER DE CE PASSÉ, OMNIPRÉSENT,OMNIPOTENT. MARBRES, ICÔNES ET USINES, VOILÀ LES TROIS L’ACTUELLE TRINITÉ DE LA GRÈCE.
La Grèce est un pays très vieux d’où le monde a surgi, alphabet tumultueux et embrouillé, où il fallut des siècles pour épeler correctement les éléments. C’est un pays de rides, de fissures, de lézardes en tout genre, un pays craquelé de mythes et de mémoire. Tout cela se lit sur les visages que l’on voit dans ce livre, sur les photos prises en Grèce par
Emanuel Sanz. On montre rarement de tels visages dans les photos, parce que rien en eux ne correspond à l’image que l’on se fait du Grec. Oui, ils sont beaux ces visages, d’une
beauté bien particulière : celle qui porte en elle sa fidélité à l’histoire.
JACQUES LACARRIÈRE
Editions Livre Total S.A. Lausanne
1994
Luce Wilquin Editrice
ISBN 2-88161-064-1
9782881610646
Epuisé.
Les gendarmes les plus fiers n’ont jamais ramené le soleil captif Henri Michaux (Qui je fus)
Nul jamais ne ramènera le soleil captif. Nul jamais n’emprisonnera la lune vagabonde Et il ne sert à rien d’invectiver le ciel Face à la sidérante liberté des étoiles.
On emprisonne pas les mots dans les édits Pas plus qu’on ne capture les verbes en cavale. Etoiles et mots, mutité, cécité des murs Mais, au-delà des murs, l’évasion du silence. Comme rose à l’extrémité de l’orage Fleurit toute parole emmurée Sachez-le bien, vous qui croyez régner, Un jour, les roses elles-mêmes vous jugeront.
Vous n’en serez pas quitte avec des couronnes, Le buis et le laurier, l’immortelle et l’acanthe. Vous devrez rendre compte des cris des crucifères. Du couteau des épines et du sang de l’automne. Même du sang de l’automne.
Et rien ne sera oublié, ni remis Ni rien ne sera pardonné Rien. De chaque privation, De chaque réclusion. De chaque hibernation.
Mais sachez-le : un jour, les murs s’effondreront La rose refleurira au terme de l’orage. Et le poème retrouvera son souffle d’ange A l’instant même où vous deviendrez cendres.
Jacques Lacarrière, A l’orée du pays fertile, Seghers éditions