Quand on cherche à connaître la littérature grecque moderne, à laquelle se dévouent des spécialistes remarquables, comme Chrysa Papandreou, Gérard Pierrat, Antoine Vitez, il y a un ami qui se retrouve à tous les carrefours essentiels, le nom d’un homme modeste et d’un talent éclatant : Jacques Lacarrière. J’ai trop souvent ici l’irritante occasion de dénoncer les méfaits des traducteurs-trahisseurs, des saccageurs de grands textes. Il me semble juste, pour une fois, de saluer celle de « Grécité », de Ritsos.
Le premier ethnographe de la Grèce antique, Hérodote et le premier poète de la Grèce, Yannis Ritsos, viennent à nous, grâce à Lacarrière, avec la même fraîcheur, la même immédiateté, Qu’il traduise d’une langue morte ou du néo-grec, qu’il étudie et traduise les tragiques, qu’il explore les œuvres des « Hommes ivres de Dieu », les Pères du Désert de l’Égypte hellénique, qu’il découvre et ressuscite de savoureux manuscrits alexandrins du IIIe siècle, comme « la Vie légendaire d’Alexandre le Grand », rédigée par le pseudo-Callisthène sept siècles après la mort du Macédonien, et enrichie d’interpolations pendant tout le Moyen Age byzantin et turc, qu’il révèle au public français l’œuvre de George Seferis ou celle de Yannis Ritsos, ou du jeune romancier Vassili Vassilikos : avec Lacarrière, une traduction n’est jamais une de ces « belles infidèles », dont on est tenté de dire qu’il ne leur manque que la parole, parce que la parole que leur donne l’interprète est figée ou pauvre, glacée ou approximative.
Pourquoi un texte grec ancien ou moderne traduit par l’auteur des « Promenades dans la Grèce antique » donne-t-il toujours un sentiment si fort de vérité et de vivacité ? Sans que pourtant l’auteur de ces versions soit suspect de consentir à des libertés coupables ou à des complaisances faciles. Car jamais Lacarrière ne cède à la tentation de « rapprocher » complaisamment de nous Hérodote ou Jean Climaque en utilisant des anachronismes volontaires, des modernismes douteux, des « familiarités » discutables, l’attirail de ruses un peu grosses qui donnent à peu de frais l’impression que « cela a été écrit hier ». Un texte établi et traduit par lui l’est toujours avec rigueur.