Jamais encore la BNF n’avait rendu hommage à une collection d’éditeur.
Chez Plon, Terre humaine s’enorgueillit donc de l’exposition de ses archives organisée dans le Petite Galerie du site Tolbiac, du 15 février au 30 avril. Au frontispice, ce credo : « Louons maintenant les grands hommes. » Tiré de l’Ecclésiaste, le verset sert déjà de titre à l’un des récits les plus poignants de Terre humaine. Sous ces mots, James Agee et Walker Evans avaient détaillé avec un infini respect, par le texte et l’image, le quotidien de trois familles de métayers dans l’Alabama des années 30. William Faulkner n’était pas loin.
Aujourd’hui, c’est toujours la même chose : la phrase invite moins à considérer les auteurs qu’à se passionner pour ceux dont il est question. Ces anonymes, SDF, détenus, parias, hors classe, hors caste, groupes fragiles et anciens, petits peuples foisonnant hors de l’histoire et loin de tout académisme. Car ils sont aussi incompris et méprisés que riches d’expériences et de savoirs autres. Voilà ce que Terre humaine clame depuis maintenant cinquante ans. Un demi-siècle entièrement voué à la défense et à l’illustration des minorités humaines.
Au point qu’il serait vain, à considérer la densité des manuscrits, correspondances, photographies et films présentés, de mentionner tous les univers, toutes les aventures vécues. Voici, à l’entrée, les traces des grands anciens. Les télégrammes de Jean Malaurie expédiés de Thulé, la dernière des terres pour Médée, ce nord-ouest du Groenland inuit où le projet de collection est né. A côté, une première édition de Tristes Tropiques de l’ami Claude Lévi-Strauss, celle des Immémoriaux de Victor Segalen, Afrique ambiguë de Georges Balandier, Aimables sauvages de Francis Huxley traduit par Claude Lévi-Strauss.
Ensuite, on découvrira l’intégralité de la bibliothèque que l’on pourra consulter, ou bien écouter puisque la voix des auteurs sera audible, ou bien encore voir grâce à la diffusion de reportages maison. Plus loin, la visite prendra une forme thématique avec une évocation des grandes orientations de Terre humaine. Peuples premiers, exclus, réprouvés, déportés et enfin sociétés traditionnelles avec un coup de chapeau à Per Jakez Hélias et à ses Bigoudens du Cheval d’orgueil (1,5 million de volumes vendus) … Et puis des engagements, des résistants dont les cris poussés résonnent |encore. Ainsi celui de l’agronome René Dumont dénonçant le vol des peuples africains par la Banque |mondiale. Celui d’Eduardo Galeano chroniqueur précis et implacable des pillages successifs de |l’Amérique latine. Celui de l’ordre des dominicains réfutant l’opposition du Vatican aux prêtres ouvriers et lui rappelant que Jésus est venu parler au nom des pauvres. Des cris, mais jamais de thèse. L’exposition se terminera par le commencement avec la genèse d’un livre, en l’occurrence un de ceux du voluptueux helléniste Jacques Lacarrière. Et l’on sortira par une évocation de l’Allée des baleines haut lieu chamanique découvert par Jean Malaurie en Sibérie. Avec, en conclusion, cette citation de Malraux au mur : « Il se peut que l’une des fonctions les plus hautes de l’art soit de donner conscience aux hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux. »
E. B.-R.