« … Je crois que la maturité ne consiste pas à supprimer l’enfant. Elle consiste à devenir mûr, tout en restant enfant, c’est à dire en intégrant tous ses âges précédents. Un homme qui aurait oublié l’enfant serait à moitié mort. La permanence de l’enfance, pas l’infantilisme, mais la permanence de la curiosité ou de la poésie de l’enfant est indispensable à tous les moments de la vie, et il faut garder tous ses âges avec soi. Vieillir, ce n’est pas supprimer des âges derrière soi, comme on enlève des feuilles de calendrier. C’est le contraire. C’est garder tous ses âges différents avec soi, être contemporain de toutes ses époques antérieures. Et là, on a comme une sédimentation, un acquis, comme ces montagnes qui sont faites par la superposition de tous les âges précédents. C’est pourquoi moi, personnellement, je me sens autant encore un enfant, un adolescent, tous les différents âges que j’ai pu avoir, et particulièrement aussi celui que j’ai maintenant. Je suis tout cela en même temps. Je ne veux rien tuer en moi. Des choses meurent, c’est différent, elles s’en vont d’elles-mêmes. Mais de moi-même, je ne me tue pas. Je ne suis pas mon propre meurtrier, je garde en moi l’enfant. Je ne tue jamais. Je ne veux pas avoir, comme dirait le poète Lautréamont, du sang intellectuel en moi qui aurait tué l’enfant que j’étais, parce que ce serait le pire des crimes…
Ritsos le disait pour la poésie, moi je le dis en général pour toutes les formes d’apprentissage et de connaissance, si Ritsos l’a dit pour la Grèce, moi je ne le dirai pas pour la France, parce que la France, certainement, n’a pas cette source de rayonnement, de chaleur et de mémoire que la Grèce porte. Mais cela n’a pas d’importance, car, personnellement, je me définis, d’une façon extrêmement claire, comme quelqu’un qui appartiendrait à un village, qui serait membre d’un village. Et ce village, il est sur toute la terre, c’est à dire je suis un villageois planétaire. »