… Je me suis passionné pour ces saints orientaux qu’on surnommait dendrites et qui faisaient vœux de vivre dans les arbres sans jamais mettre un pied sur le sol. Ils sont totalement ignorés – comme les mystérieux villageois de Jules Vernes – et seul un petit nombre d’historiens s’est intéressé à leur vie. Des dendrites ! De toute évidence, l’homme n’est devenu vraiment homme, vraiment erectus et sapiens, qu’en quittant à jamais les branches et à l’abri des arbres ancestraux, mais ces dendrites, prenant à rebours le chemin évolutif – dont, bien sûr, ils n’avaient nulle idée – retrouvaient l’existence arboricole. De tout cela, comment, tant d’années plus tard, me serais-je soucié sans ce livre et mes lectures dans le tilleul ?
Un livre peut être lui aussi une forêt non tropicale, une forêt domestiquée, un parc de loisirs, un éden à portée des lèvres et des yeux. Ne dit-on pas d’ailleurs, quand on parcourt un livre qu’on le feuillette ? Les livres auraient donc des feuilles, comme les arbres ! Le Village aérien fut mon premier livre de voyage dont les pages s’imprimèrent durablement en moi. Oui, s’imprimèrent et s’impriment toujours. On n’oublie jamais un livre parlant des forêts quand il est lu dans les branches d’un arbre. Il faudrait faire aussi des livres qu’on pourrait lire sous l’eau quand ils nous parlent de la mer et d’autres, phosphorescents, pour nous raconter chaque nuit les étoiles ! Mais je rêve. Gutenberg en personne n’eût jamais pu imaginer cela. Croyez-en ma modeste expérience, qui est d’ailleurs à la portée de tous : lire assis dans un arbre. Vous y éprouverez des joies subtiles et inattendues, inespérées peut-être ; Dans un arbre, on n’est jamais seul. Surtout par temps d’orage. Voilà ce que je dois à ce livre, à l’aérien village décrit par Jules Vernes. D’avoir appris que la vie se feuillette, elle aussi, chemin après chemin, année après année, saison après saison. Jusqu’au jour où l’on entend, la voix des anges feuilletant le grand livre du Temps.
Une forêt de signes (extrait)
« Histoires de lecture », Lire en fête, octobre 2001