C’est ainsi que l’on rencontre, à mesure que les siècles passent, tous ceux qui ont donné à la géométrie et à l’astronomie leurs lettres de noblesse : Eudoxe de Cnide, Aratos, Euclide, Aristarque, Archimède et surtout Ératosthène, qui réussit à calculer, à un iota près, le diamètre exact de la Terre, et Hipparque, ce génial visionnaire qui découvrit la précession des équinoxes. Surgissent alors, au long des pages et des évocations, les images d’un ciel et d’un monde nouveaux, restitués à la mesure de l’homme parce que dépouillés en partie de leur mystère divin, l’image d’une Terre qui a perdu sa platitude pour devenir une sphère dans l’espace, d’une voûte où les astres dessinent des figures lumineuses et surtout prévisibles.
Bref, les prestiges d’un regard auroral sur la réalité du monde. Avec, au terme de ce cortège d’ombres illustres, la silhouette de la belle, de l’incomparable Hypatie, cette mathématicienne du IVe siècle après J.-C., auteur de très savants ouvrages sur les nombres et les figures, qui mourut lapidée par des moines chrétiens fanatiques. Car cela fait aussi partie, hélas, de l’histoire d’Alexandrie, de sa Bibliothèque extraordinaire, de cette ville qui disparut pillée, dévastée, incendiée par tous ceux – chrétiens et plus tard musulmans – pour qui les mots science et culture étaient intolérables. En ce sens, Le Bâton d’Euclide est le plus bel hommage que puisse rendre un astronome, et un poète d’aujourd’hui, à ses prédécesseurs alexandrins, à qui nous devons la première image d’un ciel qui est toujours le nôtre, celle d’un univers infini et pourtant mesurable.
Le Bâton d’Euclide
Images du ciel
Jacques Lacarrière, Le Monde des livres, 13.06.02